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Avec Dans les Veines, le premier roman de Morgane Caussarieu, on exulte avant même d’avoir lu la première page. On sait qu’on va être furieusement chez soi, dans ce Bordeaux noir et sanglant ; qu’on va renouer avec une cruauté vampirique qu’on croyait perdue ; qu’on ne va plus dormir, autant parce qu’on va se prélasser dans ses ténèbres pour ne jamais les quitter jusqu’à la fin, que parce que l’horreur y sera à son comble. Si Obsküre n’avait pas parlé de ce roman, cette année, alors il n’aurait parlé d’aucun roman : sur fond de post punk et de new wave, Dans les Veines retrouve l’essence suprêmement macabre des suceurs de sang, et se permet même le luxe, par petites touches, de prendre en dérision la tendance actuelle du vampire littéraire – beaucoup trop sage pour nous affrioler : en gros, voici LE roman d’imaginaire à dévorer cet hiver. Morgane Caussarieu répond à nos questions, de quoi vous initier à son univers de littérature thrash et cinéma gore, ou de prolonger le plaisir si vous avez déjà savouré son premier roman.
Vincent Tassy
Obsküre Magazine : Histoire que personne ne s’y perde, pourrais-tu présenter ton roman – et si le cœur t’en dit, toi-même ?
Morgane Caussarieu : Dans les Veines est mon premier roman et j’ai commencé à l’écrire à vingt ans. J’ai tenté de le penser comme un anti-Twilight, une tentative de revenir à l’essence mortifère et perverse du vampire. Mes buveurs de sang ne brillent pas au soleil, et ils bouffent des junkies dans des squats miteux, sans états d’âme. Passionnée de littérature aux longues dents, de cinéma de genre et de musique post-punk, mes goûts ont nourri ma prose, et le bouquin suit des ados et des vampires psychopathes qui évoluent dans un milieu underground bordelais à la fois fantasmé et documenté, en tout cas très référencé.
Dans Les Veines est un roman splatterpunk, très noir, qui explore ce qui est communément interprété comme des déviances, et qui, de manière naturelle, se déroule dans les ténèbres, la violence et la tristesse. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment tu te positionnes par rapport à la violence en littérature ; quel est ton point de vue sur ce goût littéraire pour le dérangeant et le sulfureux ? Tu rejoins, justement, l’idée de Poppy sur la « poésie de la violence » ?
Évidemment, la poésie de la violence, l’esthétique de l’horreur, sont des choses qui m’attirent, me fascinent. Mais la violence de Dans les Veines participe aussi à un processus réflexif impliquant le lecteur. Lorsqu’on achète un livre de vampires, généralement, c’est parce qu’on recherche — de manière plus ou moins consciente — deux choses : du cul et de l’hémoglobine ! Le vampire connaît cette success story car il mélange très naturellement les deux.
Dans les Veines ne se fout pas de la gueule du lecteur à ce niveau là. Le bouquin comble ses attentes malsaines à l’excès, jusqu’à la nausée, jusqu’à renvoyer au lecteur son propre voyeurisme. On m’a plusieurs fois reproché la surenchère de gore, et le côté parfois un peu série B qui en découle. Mais tout ceci est assumé. Le vampire tue pour survivre ; un livre de vampires devrait intrinsèquement être insupportable et c’est que je tente de signifier… Marre du vampire aseptisé !
On sait ta passion pour Gudule et Poppy Z. Brite, mais je serais ravi que tu en parles plus précisément. Ton roman culte de Gudule ? Ce que tu as ressenti quand tu as découvert Âmes Perdues ou Le Corps Exquis (les deux Poppy qui me semblent innerver la matière de Dans Les Veines) ?
Pour Gudule, sans hésitation Entre chien et louve, et Mon âme et une porcherie, que j’aime à égalité. Gudule est vraiment barrée, et ce qu’elle écrit ne ressemble à rien de connu. J’apprécie l’humour noir qu’elle arrive à dégager des histoires les plus glauques.
Quant aux deux romans de Poppy que tu cites, chacun d’eux a été une révélation. Je les ai découverts à la fin de mon adolescence et ils possèdent toutes les qualités que je recherche dans un bouquin. Comme s’ils avaient été écrits juste pour moi. Âmes perdues est mon livre de chevet — d’ailleurs ma version est tout abîmée à force de le relire — et Le Corps Exquis ma Bible de l’horreur et de la déviance.
Après avoir synthétisé ce que devait être la figure du vampire pour toi, dans le projet Dans Les Veines, pourrais-tu me parler d’autres figures littéraires du vampire qui ne rejoignent pas celle que tu développes dans ton roman, mais qui touchent tout de même ta sensibilité ?
J’aime l’idée d’un vampire issu des peurs de l’inconscient collectif dans la Trilogie Timmy Valentine de S.P Somtow, ou bien la fragilité de Carmilla, dans l’œuvre de Sheridan Le Fanu, qui se sert de la gentillesse de ses hôtes pour survivre. Le vampire qui cherche à obtenir le droit de vote et qui est victime de l’intolérance, la même que celle exercée envers les homosexuels ou les Noirs, dans True Blood, me parle aussi.
Mon vampire préféré reste cependant Lestat, car il est la quintessence du vampire romantique, tout en parvenant à conserver une part très sombre (du moins, dans les premiers livres d’Anne Rice).
Tu crois que le vampire a vraiment adopté toutes les formes humainement concevables en littérature, ou qu’il peut encore nous réserver des surprises, à l’avenir ?
J’ai lu des nouvelles où le vampire était un chat, une pierre ou un collier alors, plus rien ne m’étonne… Mais je ne doute pas que quelqu’un, dans les années qui viennent, parviendra à révolutionner le genre une nouvelle fois. L’évolution du vampire sera infime, certainement, mais entrainera un nouveau courant, comme Buffy et Anita Blake ont lancé la mode Bit-Lit. Peut-être le changement passera-t-il par l’environnement du vampire ou le genre de littérature, et non par ses caractéristiques. Le vampire pourrait devenir, au hasard, un héros récurrent de Hard SF, qui sait, ou une figure R’N’B ?
Pourrais-tu revenir un peu sur la naissance du projet, la période de rédaction et la bonne nouvelle de la publication ?
Cela faisait un moment que je n’avais pas lu un roman de vampires qui me satisfasse totalement. J’ai donc décidé de le créer de toutes pièces. Un livre qui serait un patchwork des thématiques qui me sont chères… Comme je n’avais jamais rien écrit jusque-là, l’apprentissage rédactionnel fut ardu, et j’avoue que les premiers jets étaient très maladroits. Je les ai donc réécrits, jusqu’à ce qu’ils me paraissent assez satisfaisants pour les proposer à un éditeur. Cela m’a pris trois ans. Faire publier un premier roman de Terreur, aussi gore que celui-là, ne fut pas une mince affaire. Le risque éditorial, déjà très important avec un premier roman, se retrouve décuplé à cause du contenu choquant du bouquin. Quelque part, il faut un certain cran pour assumer ce texte, et je remercie Mnémos d’avoir parié sur moi. L’engouement général pour les vampires, contrairement à ce que l’on peut croire, ne m’a pas aidée. Les directeurs de collection en reçoivent tous les jours, et ils en sont lassés. Beaucoup d’éditeurs ont loué mon travail mais ont estimé que ce n’était pas pour eux. Alors quand mon éditrice — la super Charlotte Volper — m’a annoncé qu’elle prenait Dans les Veines, vous n’imaginez pas ma joie. Cela faisait un an que je me battais pour que mon texte soit publié par une maison sérieuse, avec une bonne distribution.
Comment as-tu pensé l’incursion de la satire bit-lit dans le roman ?
Le phénomène a le don de m’agacer, et je n’ai pu m’empêcher de réagir de manière moqueuse. Ainsi, Damian a toutes les apparences du gentil vampire de Bit-Lit (sensible, torturé, ténébreux, beau gosse), et jusqu’au bout, le lecteur et l’héroïne espéreront qu’il en soit un. Je reprends certains petits détails de Twilight — il s’introduit dans la chambre de l’héroïne la nuit, il a peur de trop l’approcher et de la tuer par mégarde, et il s’attache à elle car elle ressemble à son premier amour, une constance dans les récits de vampires depuis la série TV des années 60, Dark Shadows. Mais je pense que la plupart des lecteurs y verront une allusion à The Vampire Diaries et c’était l’effet recherché. Je détourne ces codes du gentil vampire acceptés par l’inconscient collectif, pour mieux faire ressortir la cruauté de Damian.
Tu prends aussi en dérision les vampyres, par petites touches. Tu portes un regard aussi sceptique sur les communautés comme les Hidden Shadows ? Pour toi, le vampire est un pur être de fiction, une entité littéraire, qu’on ne saurait mélanger à la vie réelle ?
Oui, pour moi, c’est inconcevable de croire que l’on est vraiment un vampire, avec un réel besoin de sang pour survivre. J’ai un trop grand respect pour ces créatures pour même penser à me faire poser des crocs, bien que je comprenne que des gens ressentent cette envie. Quand j’ai écrit le roman, je n’avais jamais rencontré de vampyres, j’avais juste vu le reportage de Laurent Courau. C’est chose faite à présent. Father Sebastiaan, qui est quelqu’un de très sympathique, m’a expliqué sa philosophie que je respecte. Ce ne sont pas des allumés mais des gens venus de tous les milieux qui se regroupent autour de leur fascination pour le vampire pour vivre pleinement leur passion et parfois leur sexualité.
Dans le roman, j’ai choisi de parler avec humour d’un groupe de vampyres sanguins (en opposition aux vampyres psychiques), qui sont plus des fétichistes du sang et des fans d’Anne Rice que des adeptes de la philosophie de Father Sebastiaan. C’est un groupe isolé et fictionnel, qui se prend un peu trop au sérieux et illustre certaines dérives. Leur présence fait du bien au bouquin et apporte un peu de légèreté dans toute cette noirceur.
Quant aux Hidden Shadows, qui sont, si je me rappelle bien, des blacks et des portoricains de Harlem adeptes des sports de combat, je ne les connais pas, mais il me semble que c’est encore autre chose. Le déguisement de vampire — tirant vers une image à la Blade — est alors un moyen original et inquiétant de se faire respecter dans la rue. Pourquoi pas…
Tu publies un roman vampirique, excellent, et tout et tout… mais on ne parle plus que de vampires. Moi, un autre point m’a paru très important, outre le vampire : bel et bien celui de la langue, du style. Ce goût de l’oralité, ce jonglage permanent entre les points de vue qui impliquent de nouvelles ressources langagières. Si le vampire est un hybride, entre mort et vivant, monstre et humain, la langue semble alors épouser cette hybridité, et participer de la propulsion du livre au rang d’objet… « baroque » : les styles que tu as choisis sont-ils pulsionnels ? Respectent-ils l’état d’esprit qui était le tien pour te lancer dans la rédaction d’une scène particulière ?
J.F est le seul personnage qui fait changer le style du roman lorsqu’on adopte son point de vue, car c’est celui qui me touche le plus. Malgré ses défauts, son machisme, sa cruauté, il reste le plus humain du lot, le plus entier. Quand il parle, j’adopte une façon de rédiger plus orale, directe, pour que l’on soit obligé de se rapprocher de lui —même si on n’en a pas forcément envie, car c’est quand même une belle enflure !
La variation dans l’écriture s’explique aussi par le fait que Dans les Veines est la rencontre du gothique décadent et du punk. Le gothique étant associé à l’aristocratie, à un personnage comme Damian, et le punk étant lié au prolétariat et personnalisé par J.F, il me fallait jongler entre deux styles : l’un presque précieux, imagé, très écrit ; et l’autre cru, vulgaire, grossier, pour bien représenter ces deux mouvements.
Peut-être était-ce également l’envie de montrer que ce n’est pas parce que je suis une petite nana que je ne peux pas écrire de manière burnée.
Et l’oralité en littérature… pour toi, est-ce ce qui permet d’épouser la plasticité de la langue, et de faire évoluer le paysage littéraire ?
Bien sûr. La langue écrite est figée, alors que la langue orale est en évolution constante. Réinventer la langue, la pimenter d’argot des années 70 et de constructions bizarres, c’est quelque chose qui m’intéresse, et que j’ai un peu expérimenté avec J.F. Je pense pousser dans cette voie dans mes prochains projets.
Les éléments gore sont particulièrement maîtrisés. Tes influences principales dans le genre (littéraires comme cinématographiques) ?
En littérature horrifique, il y a Poppy Z. Brite et Gudule précédemment citées, mais aussi les traumatisants Jack Ketchum, Graham Masterson et Clive Barker. Des livres d’auteurs plus généralistes mais tout aussi déviants m’inspirent beaucoup : Les Garçons sauvages (William Burroughs), Lolita (Nabokov), Closer (Dennis Cooper) et bien sûr, Les 120 journées de Sodome du Marquis de Sade. J’aime aussi beaucoup, parmi les auteurs français, Thibault Lang Willar (Un fauteuil pneumatique rose dans une forêt de conifères), Virginie Despentes et Sire Cédric.
Niveau cinéma de genre, je suis une grande fan du travail de Dario Argento, Gregg Araki, David Cronenberg, Nicolas Winding Refn (gros coup de cœur pour Drive), Lucky McKee, Takashi Miike (Ichi the Killer) ou Gaspard Noé et Pascal Laugier (Martyrs) pour la France. Si je ne devais emporter que cinq films avec moi sur une île déserte équipée d’une télé et d’un lecteur DVD (chose assez improbable j’en conviens), ce serait : Blade Runner de Ridley Scott , The Doom Generation d’Araki, Morse de Tomàs Alfredson, Portier de nuit de Liliana Cavani et La Nuit du chasseur de Charles Laughton.
Les lecteurs d’Obsküre seront sans doute très intéressés par l’omniprésence de la musique dans le roman. On aura sûrement l’occasion d’en parler de manière plus approfondie, à l’avenir, mais cédons quand même à la tentation, pour l’heure : new wave, cold wave, post punk… les musiques goth semblent faire partie intégrante de la substance littéraire de Dans Les Veines (outre le punk, avatar musical de J.F.). Dirais-tu que le roman est en partie né de ces musiques-là ? Et quels sont les groupes que tu as le plus écoutés quand tu écrivais ?
Ce qui m’inspire pour écrire, c’est surtout les mélodies au synthé éthérées et mélancoliques — des morceaux comme Louise, de Clan of Xymox, Papillon des Editors, Pretty Day de Marie Möör, Victory of Love d’Alphaville, Autumn wounds de Soror Dolorosa, Invitation d’Opéra de Nuit, la Mort de Cyrielle de Malaise Rouge ou Direct Lines d’Electronic Circus, etc. La musique post-punk m’a aidée à visualiser une ambiance et à la retranscrire, pareille à une séquence de film avec le morceau en fond. Cela donne un roman triste, sombre, et très eighties. Dans le bouquin lui-même, je cite des morceaux un peu plus rythmés, batcave ou horror punk, car J.F. est un excité.
Il y a, paradoxalement, une possibilité de s’attacher mêmes aux personnages les plus abominables ; en tant qu’auteur, on dirait que tu as choisi de mettre tes idées personnelles de côté, et de ne vraiment juger aucun de tes personnages. Je me trompe ?
En tant que personne, je n’ai jamais jugé quelqu’un par rapport à ses déviances. Alors je ne vais pas commencer à le faire dans mes romans… Pour moi, mes personnages sont tous malades, et donc pas vraiment responsables de leurs actes, aussi affreux soient-ils. Leur seul tort : la faiblesse, celle de céder à ses pulsions au lieu de les réprimer.
Écrire Dans Les Veines, le retravailler avec un gros éditeur… tout ça forge la plume. Comment tu abordes tes futurs projets ? Tu te sens un meilleur écrivain, aujourd’hui ? Et pourrais-tu dire quelques mots de ce que tu prépares pour la suite ?
Avant Dans les veines, je n’étais pas un écrivain du tout. J’ai commencé à taper des mots sur un fichier Word parce qu’il fallait que mes personnages, J.F, Lily, Damian,… sortent de ma tête. Je ne pouvais pas les garder en moi indéfiniment, ils sont du genre corrosif, à te bouffer la cervelle… Du coup, c’est évident que je suis une meilleure écrivain à présent, puisque mon premier roman m’a tout appris. Mais le bouquin ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans mon éditrice, Charlotte Volper. Elle m’a fait retravailler ses faiblesses, élaguant le trop plein et me demandant de rajouter où cela manquait. J’ai eu beaucoup de chance de tomber sur elle, et j’ai appris énormément à son contact.
Dans les mois et les années qui viennent, j’espère voir aboutir plusieurs de mes projets, le premier étant un fausse suite à Dans les veines, dérangeante à souhait. Je compte bien en faire quelque chose de plus original. Dans les Veines, ultra référencé, était mon tribut au genre, et il est très marqué par ses codes. J’ai également deux nouvelles qui ont été choisies pour figurer dans une anthologie sur la vie après la mort aux éditions l’œil du Sphinx, qui sortira courant 2013 probablement. L’une est une variation sur le thème de Peter Pan, et l’autre met en scène deux personnages de Dans les Veines, dans un texte inédit. Spécialiste du vampire (autant que faire se peut), je me lance aussi dans la recherche. Mon essai, Le Vampire en Louisiane : Une métaphore du malaise sudiste, abordera le buveur de sang d’une manière inédite et sortira, si tout se passe bien, d’ici quelques mois. Préfacé par Jean Marigny, le bouquin décortiquera les livres d’Anne Rice, Âmes perdues, ou la série TV True Blood.
> SORTIE
– Morgane Caussarieu – Dans les Veines (Mnémos, 2012)
> WEB OFFICIEL
https://morganecaussarieu.wordpress.com/
Couverture du livre : Bastien Lecouffe Deharme (http://tyrellcorporate.blogspot.fr/)